En
arrivant devant le
marché, il rejoignit la charrette qu'il avait suivie. Maintenant,
l'homme commençait à décharger ses primeurs. Sous la halle en
fer, il y avait d'autres charrettes et un trafic incessant de cageots
vers l'intérieur du marché, où des femmes formidables baignées par la
lumière de l'acétylène lavaient les comptoirs avant d'y disposer leur
marchandise. [...] Dans un bar jouxtant le marché, des charretiers
buvaient des cafés arrosés. [...] Des livreurs passaient en portant sur
leurs épaules des pains de glace, des caisses de bière, de boissons
gazeuses et de siphons. Comme sur l'image édifiante d'un manuel
scolaire, un homme au visage blanchi qui portait un sac de farine en
croisa un autre barbouillé de noir qui portait un panier de charbon | La ville revenait
doucement à la vie et Prullàs se sentait exalté par le flot d'énergie
qui jaillissait autour de lui. Les boutiques ouvraient leurs portes
dans un grand fracas de bois et de fer. [..] Des poissonneries
sortaient les effluves abyssaux des salaisons ; des fours l'odeur du
pain et des tartes. Prullàs aspira l'air avec délices ; il était
fasciné par le spectacle de cette Barcelone insolite, en blouse et en
tablier, ordonnée, tenace et laborieuse, si différente de l'autre
Barcelone, en plastron amidonné et robe longue, frivole, perverse,
hypocrite et noctambule, que la vie lui avait donnée en partage et où
il se trouvait merveilleusement bien. Une comédie légère, Eduardo Mendoza |